Qu’y a-t-il entre les galaxies, ou pourquoi étudier les « vides » cosmiques ?
L’univers est composé de nombreuses structures cosmiques visibles à travers l’agencement spatial des galaxies. Ces structures font apparaître de nombreux vides, c’est-à-dire des régions quasiment inoccupées par les galaxies. De nombreux scientifiques s’intéressent particulièrement à ces vides cosmiques. Comment et pourquoi les étudie-t-on ?
Des vides entre les grandes structures cosmologiques
Les vides cosmiques sont des régions de l’univers apparemment dépourvues de galaxies. Ils sont aussi supposés pauvres en matière d’où leur nom de « vide cosmique ». Ces régions ont des tailles caractéristiques de l’ordre de quelques millions d’années-lumière pour les plus « petites » d’entre elles. La Voie lactée, notre galaxie, avec un diamètre de l’ordre de cent mille années-lumière, est au moins dix fois plus petite.
Les premiers vides cosmiques ont en fait été observés à la fin des années 1970 avec les premiers relevés systématiques de galaxies. À cette époque, il n’y avait pas encore de modèles scientifiquement établis de la cosmologie, c’est-à-dire fondés sur un ensemble convergent d’observations astronomiques. En particulier, les observations de la distribution des galaxies étaient encore relativement insuffisantes. Par exemple, il était impossible de voir si les galaxies avaient une organisation spatiale structurée ou bien si elles étaient distribuées de manière homogène.
Ce débat, qui durait depuis 1938, avait été lancé par Harlow Shapley. Il aura fallu attendre les années 1970 pour avoir de premiers arguments physiques sur la structuration spatiale des galaxies, lesquels ont été rapidement étayés par de véritables campagnes d’observation.
L’observation des grandes structures formées par les galaxies a entraîné de nombreux travaux théoriques afin de comprendre leur formation. Ces grandes structures ont été dénommées « toile cosmique » par référence à la toile d’araignée. Les vides correspondent aux trous de cette toile.
Néanmoins l’étude de ces vides est restée limitée, car ils souffrent de deux défauts. D’abord ils sont de grande taille, ce qui nécessite des relevés de galaxies très grands et profonds afin de les détecter et de les caractériser. Ensuite, le modèle mathématique de l’évolution du vide est plus complexe que celui utilisé pour rendre compte des petits écarts à l’homogénéité de la distribution des galaxies aux échelles de l’univers.
Les vides cosmiques sont vides de matière… et sont dominés par l’énergie noire
Les vides cosmiques présentent un intérêt scientifique pour l’étude de l’univers : ces régions, par définition, contiennent moins de matière que le reste de l’univers. Mais quand on enlève toute la matière, il reste quand même quelque chose : l’énergie noire.
Celle-ci n’a jamais été observée directement – mais son existence, soit sous forme de constante cosmologique, soit sous forme d’un objet physique à part entière, n’est pas interdite par la relativité générale et elle est maintenant nécessaire pour interpréter les observations. En particulier, elle est requise pour expliquer l’accélération de l’expansion cosmologique.
L’hypothèse de l’énergie noire admet plusieurs variantes. L’énergie noire la plus « simple » ne formerait pas d’agrégats. Les vides cosmiques ne contenant quasiment pas de matière, ils seraient donc dominés par l’énergie noire. Des laboratoires privilégiés pour tester de nouvelles hypothèses sur l’énergie noire à travers son effet sur la dynamique des petites galaxies les peuplant, en somme.
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L’étude de cette dynamique requiert des relevés de galaxie à des luminosités extrêmement faibles, afin de voir ces petites galaxies. Ces relevés sont en cours de développement, par exemple le relevé « Legacy Survey of Space and Time » ou Euclid.
Expansion de l’univers et vides cosmiques
Les vides cosmiques permettent non seulement de tester les hypothèses sur l’énergie noire, mais aussi de mesurer l’évolution de l’expansion de l’univers.
En effet, le « principe cosmologique », très important dans la discipline, dit que les propriétés physiques de base de l’univers ne dépendent ni de la position de l’observateur ni de sa direction d’observation.
Suivant ce principe, les vides cosmiques doivent ressembler en moyenne à des boules, quel que soit l’instant. Cette propriété est importante, car elle permet de comparer l’étendue apparente d’un vide en profondeur, fournie par la vitesse d’éloignement des galaxies qui le délimitent, à son étendue sur le ciel, donnée par la distance sur le ciel entre ces mêmes galaxies. Selon le principe cosmologique, ces deux quantités sont égales en moyenne. Imposer cette égalité nous informe en retour sur la vitesse d’expansion à l’instant où la lumière a été émise par les galaxies délimitant ce vide cosmique, et ainsi au contenu de l’univers à cette même époque.
D’autres types de structures peuvent servir pour réaliser ce même test de l’expansion – par exemple les oscillations acoustiques du plasma primordial, qui sont des structures de tailles bien plus importantes que celles des vides.
Un tournant dans l’utilisation des vides
Comme indiqué ci-dessus, bien que la forme des vides cosmiques soit en moyenne une boule, leur forme individuelle peut être très variée – l’image de tête de l’article montre une forme très complexe – et cette variabilité rend leur identification systématique compliquée.
La publication simultanée, mais séparée, de deux algorithmes, s’appuyant sur les mêmes principes, a permis une percée significative en 2007. La publication ouverte de leurs codes sources DISPERSE et ZOBOV a permis de les utiliser pour de nombreuses applications. Par exemple, il a été possible de suivre les propriétés des galaxies suivant le type de la toile (un vide, un amas ou un filament). DISPERSE a aussi été utilisé pour trouver des filaments de galaxies dans des images obtenues avec un détecteur dans le domaine des rayons X, et à beaucoup plus petite échelle, pour analyser la structuration des nuages moléculaires.
Ces algorithmes s’appuient sur des concepts mathématiques de topologie différentielle, qui permet par exemple d’étudier les lignes de partage des eaux en géographie. Ils sont plus robustes que les méthodes précédentes, et ils permettent d’identifier les vides même s’il y a de petites déformations de la distribution spatiale des galaxies, c’est-à-dire si on déplace globalement les galaxies dans n’importe quelle direction (si la déformation n’est pas trop grande).
Avec des collaborateurs, nous avons élaboré la chaîne d’analyse « VIDE », qui a notamment permis de construire des bases de données ouvertes de vides cosmiques à partir du relevé du ciel « Sloan ». D’autres catalogues de vides cosmiques ont par la suite été construits à partir d’autres relevés comme DES (Dark Energy Survey).
Ces analyses des vides cosmiques ont abouti à de nouvelles contraintes sur l’expansion de l’univers.
Les derniers résultats
Les manières d’étudier et de caractériser les vides cosmiques continuent d’évoluer et font toujours plus appel aux logiciels ouverts. Deux évolutions significatives sont en cours. D’abord, l’évolution des ordinateurs et des algorithmes permet des analyses toujours plus fines des données : il est maintenant possible de détecter plus de vides et de reconstruire la toile cosmique avec toujours plus de fidélité à partir des relevés de galaxie.
Par ailleurs, les relevés de galaxies deviennent toujours plus grands. Un nouvel article vient tout juste d’être soumis pour évaluation par les pairs, et, comme c’est habituel en astrophysique, mis à disposition de la communauté sur un serveur ouvert de prépublication. Cette étude démontre que les vides cosmiques permettent des contraintes meilleures sur le contenu matériel de l’univers que les techniques utilisées classiquement, en utilisant les mêmes données. Aucune déviation significative n’a été relevée par rapport à la relativité générale ou aux paramètres cosmologiques tels que contraints par la mission Planck.
Le prochain défi majeur proviendra de l’exploitation des données de la mission Euclid qui devraient permettre d’obtenir des contraintes inégalées sur l’énergie noire.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.