Partageons la science ouverte – 1 | « Ludification / Play the game ! »
Initiatives croisées Guyane / Réunion
Groupe de travail « Pratiques innovantes » du Collège Compétences & formation – Comité pour la science ouverte
Tout a commencé en Guyane…
Profitant de l’inauguration du nouveau portail institutionnel HAL, le service commun de documentation (SCD – BU) de l’Université de Guyane a organisé du 24 au 28 octobre 2016 sa première édition de l’Open Access Week.
Le service de formation aux usagers, qui avait déjà initié une dynamique de ludification de ses formations depuis 2015, a opté pour la création de trois serious games (librement téléchargeables sur Zenodo sous licence Creative Commons BY-NC-SA) sur le thème de l’open access à destination des doctorants et chercheurs :
- un jeu de débat, « Super Open-Researcher », qui a pour but de familiariser les étudiants aux enjeux de l’open access et de faire émerger les questions, afin de susciter la réflexion ;
- le jeu de cartes « Open-Strategist », qui permet aux doctorants de construire leur stratégie de diffusion en prenant en compte les questions de bibliométrie, les différentes solutions d’open access (green, gold ou freemium) et les modalités de diffusion complémentaires (blogs, etc.) ;
- « Fastoche Hal », qui doit familiariser les étudiants aux modalités de dépôt dans HAL et les informer sur les différents types de métadonnées disponibles (mise sous licence, sous embargo, versions, etc.).
Exemples de cartes du jeu « Super Open-Researcher »
L’équipe a pu constater les retours positifs engendrés par la mise en place d’une pédagogie active et ludique sur les étudiants. Cependant, une évaluation plus poussée de l’acquisition effective de compétences reste à élaborer.
Puis la Guyane (mais pas que) a inspiré la Réunion…
S’intéressant au jeu depuis longtemps, mais également admiratif du travail réalisé en Guyane par Marie Latour et Caroline Boiteux, Nicolas Alarcon, profitant de la participation de l’Université de La Réunion à la « Nuit européenne des chercheurs », s’est à son tour lancé dans l’élaboration d’un jeu de plateau sur l’open access.
Parmi ses sources d’inspiration, en plus de la Guyane, Nicolas Alarcon cite « The Game of Open Access » (université d’Huddersfield) et « Le jeu de l’OA » (Lilliad, université de Lille).
Le premier test du jeu lors de la Nuit européenne des chercheurs s’est particulièrement bien passé. Huit parties ont été assurées, accueillant enseignants-chercheurs, adultes en visite, lycéens, collégiens et même des enfants de 7 et 10 ans ! Le public n’avait pas forcément conscience des enjeux économiques, sociaux et scientifiques cachés derrière ces domaines.
Ce jeu de plateau, qui depuis a été rebaptisé « Libérez la science ! », est lui aussi disponible sur Zenodo (sous licence Creative Commons CC BY-NC).
Jeu « Libérez la science ! »
Plus d’informations :
- Guyane : Marie Latour – marie.latour@univ-guyane.fr – voir Arabesques n°93, P.19, article « Promotion de l’open access : jouer c’est adhérer ? »
- La Réunion : Nicolas Alarcon – nicolas.alarcon@univ-reunion.fr – voir le blog « Assessment Librarian », article « Remixer et concevoir un jeu de plateau sur l’open access »
Questions croisées à Marie Latour et Nicolas Alarcon
1/ Savez-vous combien vos jeux de plateaux ont compté de joueurs à ce jour ? et qui sont-ils ? Envisagez-vous d’autres développements à l’avenir ?
Marie Latour : En interne, à l’Université de Guyane, trois promotions de doctorants ont été formées par ces jeux de plateau pédagogiques depuis 2016, soit un total d’environ 50 étudiants, pour une école doctorale qui en compte une soixantaine au total. À cela s’ajoutent deux sessions de formation animées durant l’Open Access Week 2016, ainsi que des ateliers organisés pour les professionnels de la documentation lors des évènements nationaux et internationaux, tels les Journées nationales du formateur de l’ADBU, le congrès européen LIBER ou le congrès international IFLA en 2019. Des versions anglaises ont même été mises au point pour une diffusion maximale à l’international. Surtout, ces jeux ont été réutilisés par un grand nombre de bibliothèques d’universités et d’écoles en France, telles Lilliad, l’Insa de Lyon, Lyon, Avignon, Toulouse, etc. L’Université d’Aix-Marseille a organisé une staff week autour de ces jeux auprès de professionnels étrangers.
Dans le but de poursuivre cette initiative, nous avons reçu un financement du consortium national COUPERIN afin de mettre en jeu le cours qu’Annaïg Mahé, maitre de conférence à l’URFIST de Paris, a donné lors de la 3e édition de l’Open Access Week en octobre 2019 sur la thématique de gestion et de la diffusion en libre accès des données de la recherche. Nous souhaitons privilégier dans ce cadre une approche systémique de la question, en intégrant dans le jeu des rôles joués par les différents acteurs qui peuvent être amenés à travailler sur un tel projet : doctorants, chercheurs, directeurs de laboratoires, bibliothécaires et documentalistes, et citoyens. Ce jeu, prévu pour fin 2020, sera placé sous licence Creative Commons BY et déposé également sur Zenodo, où les collègues pourront librement le télécharger et le réutiliser.
Nicolas Alarcon : « Libérez la science » a été proposé lors des deux premières éditions de « La nuit européenne des chercheurs » à La Réunion en 2018 et 2019. Le succès a été encore plus important la deuxième fois avec une quinzaine de parties réalisées (entre 70 et 80 joueurs au total). Le public fut plus varié avec des familles, des lycéens et plusieurs collégiens et primaires qui se sont pris au jeu. Une demi-douzaine de doctorants de l’Université de La Réunion a également participé au jeu en introduction de la séance sur la communication scientifique.
Les retours sont toujours très positifs, car le public n’a généralement jamais envisagé le travail des chercheurs du point de vue des publications scientifiques.
À ma grande surprise, le jeu vit sa vie avec plusieurs itérations en Normandie, au CIRAD ou à l’IFSTARR. Les règles sont très souples et peuvent facilement s’adapter au public et au contexte.
À force d’y jouer, on finit par ne voir que les imperfections de son jeu ! L’équilibrage des tirages de carte permettrait une meilleure alternance dans les actions. Nous envisageons quelques modifications sur le plateau et de nouvelles questions enrichies par l’actualité de la science ouverte et les nouvelles formations proposées aux doctorants.
2/ Marie, tu parlais dans ton article paru dans Arabesques n°93 d’une « évaluation plus poussée de l’acquisition effective de compétences » qui restait à élaborer : quelles avancées depuis ? Nicolas, partages-tu cette préoccupation ?
Marie : C’est un chantier qu’il nous faut également ouvrir. À l’heure actuelle, faute de moyens humains suffisants, nous n’avons pas pu le mettre en place. Je souhaiterais notamment, à la fin de chaque cours, proposer un QCM rapide non évalué à mes doctorants afin de voir si les principales notions et compétences que je voulais transmettre ont effectivement été acquises, et pouvoir ainsi appuyer sur les points qui auraient été insuffisamment compris.
Nicolas : c’est une voie que nous n’emprunterons pas. Si les doctorants constituent un public à la recherche de nouvelles connaissances et de crédits pour valider leur thèse, les chercheurs représentent notre principale cible et nous cherchons en premier lieu à développer les formations dans leur direction. Le jeu pourrait avoir sa place mais amener différemment, les chercheurs n’ayant pas forcément les mêmes attentes vis-à-vis de ces séances.
3/ Quelle(s) compétence(s) vous semble(nt) prioritaire(s) à développer dans un futur proche ?
Marie : Les compétences que je souhaiterais prioritairement développées sont celles concernant la gestion et la diffusion des données de la recherche, qui fait partie d’un des axes majeurs du Plan S auquel a adhéré la France. Mais j’aimerais aussi solidifier les fondamentaux, en formant par exemple les doctorants et les chercheurs à une utilisation experte de HAL ou des ressources ISTEX, via l’utilisation d’API par exemple. Enfin, à plus long terme, je pense qu’il nous faudra aborder la question de l’Open Data de manière plus large, en aidant notre communauté à reconnaitre et à interroger les entrepôts de données publics par exemple, voir à les initier au Data-mining, qui sera très utile pour leurs recherches. Mais ces dernières questions demandent aussi à ce que je me forme personnellement à toutes ces techniques.
Nicolas : Nous cherchons moins à développer des compétences qu’une conscience des enjeux liés à la science ouverte. Le travail autour de la diffusion des publications en libre accès porte ses fruits, encore plus depuis la Loi pour une République numérique. Les chercheurs manquent encore de temps pour déposer leurs publications dans les archives ouvertes mais ils sont pleinement sensibilisés à l’importance de diffuser leurs travaux au-delà de la revue ou monographie. On entame tout juste ce travail pour les données de la recherche et nous souhaiterions également le porter pour les problématiques d’évaluation ouverte, encore émergentes dans de nombreuses disciplines. Notre objectif est de positionner les BU en partenaires-réflexes sur ces questions. Cela impliquera, dans certains cas, la transmission de compétences ou, dans d’autres cas, de fédérer les experts identifiés au sein de l’Université, de partager les points de vue transdisciplinaires.
4/ Selon vous, à part la ludification, comment durablement promouvoir, ouvrir et libérer la science ?
Marie : Je pense que d’autres outils peuvent être utiles pour la promotion et la valorisation de la science. Nous testons par exemple en ce moment un nouveau type de support, en créant avec le soutien financier du GIS URFIST une bande dessinée pédagogique sur les questions de la bibliométrie. Si le produit fonctionne, nous pourrions en créer également pour promouvoir le libre accès, et créer une sorte de série.
Certains collègues créent aussi des Moocs, des vidéos pédagogiques et des jeux vidéo : c’est un médium intéressant, que j’utiliserai si les collègues les partagent en libre accès, même si, pour des raisons de ressources humaines, je ne m’y aventurerais sans doute pas ou très peu.
Enfin, les formations – notamment en présentiel – et les entretiens personnalisés offerts dans les bibliothèques universitaires sont aussi, à mon sens, extrêmement importants : ils sont à pérenniser, et à enrichir – au besoin en invitant des intervenants qualifiés et de qualité – afin de transmettre les compétences nécessaires à une bonne utilisation du libre accès.
Mais je pense aussi que la croissance du mouvement libre dépendra également beaucoup des choix économiques et politiques qui seront faits à plus haut niveau. En ce sens, nous ne pourrons efficacement défendre ce modèle que s’il est pensé en amont de manière cohérente et durable.
Nicolas : Le meilleur moyen de promouvoir durablement la science ouverte serait, d’une part, de la simplifier à l’extrême et de rendre les processus aussi transparents et indolores que possible.
Nous entendons encore beaucoup de chercheurs se plaindre que déposer sur HAL est compliqué et chronophage. Or, ces mêmes chercheurs pratiquent déjà certaines formes de diffusion en déposant sur leur site personnel ou sur les réseaux sociaux académiques. Les projets actuels de moissonnages automatisés pour certains éditeurs vont dans le bon sens et soulèvent de nouveaux défis : comment simplifier le travail pour le chercheur tout en améliorant la qualité des métadonnées produites, prérequis à une exposition maximale de la production scientifique ?
D’autre part, nous poursuivrons notre travail d’infusion. Être présent dès que possible dans les étapes du travail scientifique impliquant publications et gestion des données. Valoriser les bonnes pratiques locales grâce à des Café de chercheurs en cours de réalisation et envisager leur réplication dans d’autres contextes. Démontrer, études à l’appui, l’intérêt des pratiques de science ouverte. Pour que cette dernière ne soit plus considérée comme la cerise sur le gâteau mais comme la science telle qu’elle devrait être.