La science ouverte : refaire circuler le savoir librement
Au Muséum national d’histoire naturelle, les échanges entre savants du pays et du monde entier ont toujours été des vecteurs essentiels de la production et de la diffusion de la connaissance scientifique. Les archives administratives et scientifiques de l’établissement témoignent d’une conversation ininterrompue entre chercheurs aux quatre coins de la planète : relations de voyages, journaux d’expéditions, correspondances, envois croisés entre spécialistes de caisses ou colis de spécimens, d’enveloppes garnies de graines, de photographies, de tirés à part, d’ouvrages… Un incessant ballet d’idées, d’indices et d’objets qu’on n’appelait pas encore des données et qui se dispensait souvent de toute tractation financière. Cette ouverture au monde s’est accompagnée d’une ouverture aux personnes.
Des premières sociétés savantes jusqu’aux sciences participatives qui aident à enrichir les inventaires et bases de données contemporaines, l’histoire naturelle s’est co-construite avec des amateurs et des passionnés de tout bord sans qui les collections, matériau essentiel de la recherche, n’auraient jamais pu être assemblées ni décrites.
Plantes et climat ??
Face du changement climatique, la flore sauvage en France a déjà évoluée ! C’est ce qu’annonce une étude publiée mercredi par le MNHN dans le cadre du progamme de science participative Vigie-Flore. Focus sur la thématique : https://t.co/lHHZ2Fi2uO pic.twitter.com/M5DBzkkk5c— Tela Botanica (@TelaBotanica) July 11, 2019
Bref, bien avant la révolution numérique qui a été un formidable accélérateur de ces échanges, on faisait de la science ouverte sans le savoir. Car la notion même de science est fondamentalement indissociable de l’ouverture des esprits, qui conditionne celle des publications et des données.
Science ouverte ! Ce devrait donc être un pléonasme, mais cela fait des décennies que cela ne l’est plus. Comment en est-on arrivé là alors que pendant des siècles la communauté scientifique avait réussi à échanger, à s’organiser à travers de multiples réseaux ?
Quand le privé s’accapare et monétise le savoir
Disons que le coup de grâce est venu de l’archange « bibliométrie ». Les éditeurs privés, non contents de créer, voire de récupérer moult revues, ont forgé des outils comme l’impact factor (indice qui quantifie la qualité d’une revue à partir du nombre moyen de citations de ses articles) ou le H-index (autre indice qui quantifie la réputation d’un chercheur sur la base des citations de ses articles) sur lesquels les scientifiques eux-mêmes se sont précipités pour s’évaluer entre eux.
Magie d’une arithmétique simpliste qui, en dépit de critiques bien étayées, continue d’être utilisée et qui a cadenassé la science en lui fournissant une liste des « bonnes » revues, les plus chères bien sûr dont les abonnements pour 12 numéros peuvent coûter plusieurs milliers d’euros, voire dépasser les 10 000 euros.
Seulement voilà, après avoir demandé aux scientifiques, la plupart du temps payés par les pouvoirs publics, d’écrire leurs articles, de les éditer, de valider gratuitement ceux de leurs pairs, puis de payer pour les lire, les éditeurs ont aussi souhaité faire payer pour publier, simplement en proposant des accès facilités et accélérés à la publication contre rétribution.
Bref, une forme d’asservissement consenti s’est installée, où il fallait passer trois fois à la caisse. Certes, il faut reconnaître le travail et la valeur ajoutée de l’éditeur qui a des compétences propres à la valorisation et à la diffusion de l’activité scientifique : éditer, structurer et diffuser un livre, une revue, une base de données, a un coût et un entrepôt de PDF est loin d’être une revue scientifique. Encore faut-il apprécier et monnayer ce travail à son juste prix, et dans bien des cas, les comptes ne sont plus bons.
Refaire circuler librement les connaissances
À trop vouloir gagner, un vent contraire s’est levé, celui de la science ouverte. À l’heure des réseaux et du numérique, pourquoi la connaissance scientifique, bien de tous, ne pourrait-elle pas circuler librement ? Poser la question, c’est y répondre, surtout à une époque où l’acquisition de nouvelles données et connaissances n’est plus le coup d’éclat de quelque savant isolé, mais le fruit de collaborations multiples. La connaissance avance comme une vague collective où tout se partage et où chacun bénéficie de l’influence de tous. Dans un monde économiquement fracturé, la libre circulation des connaissances scientifiques est un indéniable levier de rééquilibrage et de développement, y compris dans les rapports Nord-Sud. Tout ce qui facilite les échanges fait donc sens et est même devenu une nécessité impérieuse.
« La pandémie de #Covid19 nous fait prendre conscience de l’importance de la science en matière de recherche et de coopération internationale. Cette crise nous montre aussi l’urgence d’un meilleur partage des connaissances à travers la science ouverte. » https://t.co/GyFa28s0e8
— Programme des Nations Unies pour l’environnement (@UNEP_Francais) April 2, 2020
L’avènement du numérique permet cela : au-delà des publications, le croisement et l’agrégation des données de la recherche issues de silos disciplinaires variés permet d’accélérer les possibilités de calcul, de fouille et d’analyse par l’utilisation des machines et de l’intelligence artificielle. Pour que l’innovation scientifique se déploie à cette nouvelle échelle, encore faut-il que les données soient ouvertes et interopérables, tant techniquement que juridiquement.
Malheureusement la seule restriction qui se soit imposée est celle des moyens financiers dévolus à cette circulation d’information, moyens réclamés et captés par quelques gros éditeurs privés qui ont eu l’astuce de faire des titres de leurs revues scientifiques le critère d’évaluation de l’activité des chercheurs. Car l’évaluation est ainsi reportée sur la seule notoriété d’une revue qui, sans nier sa qualité scientifique, a d’abord ses contraintes éditoriales et financières. Lors d’une évaluation, ce ne sont plus les contenus scientifiques qui sont regardés et scrutés de manière approfondie, mais les seuls titres et impact factor. L’absurdité est devenue telle que j’ai pu assister dans un pays voisin à des classements de projets sur la base de la somme des if de leurs porteurs. Plus encore, les mêmes acteurs ont entrepris de fidéliser les chercheurs en mettant en avant leur avance technologique pour commencer à privatiser les données de la recherche publique dans des applications et réseaux académiques résolument propriétaires.
On voit bien que le système implose et que la science ouverte est désormais une nécessité économique, déontologique et même pragmatique car elle permettra de desserrer le frein qui limite la diffusion large des connaissances acquises, entre scientifiques d’abord et vers un large public ensuite. Toutefois, ne nous leurrons pas, la réponse n’est pas simple car il faut concilier le souhait de cette large diffusion et d’immédiateté avec la nécessité d’une validation. Il faut faire en sorte que la société dispose de bases fiables et que la diffusion de connaissances validées répondant aux critères scientifiques ne tourne pas à la diffusion d’opinions ou de croyances non étayées. C’est tout l’enjeu de cette science ouverte qui doit faire avec les forces et faiblesses de la science, une capacité à remettre en cause ce qui était tenu pour acquis, ce qui ne pose pas de problème dans un monde lent, mais qui peut donner l’apparence d’une agitation perpétuelle dans le monde rapide d’aujourd’hui.
Cet article fait partie de la série « Les belles histoires de la science ouverte » publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Pour en savoir plus, visitez le site Ouvrirlascience.fr.
Bruno David, Président du Muséum national d’Histoire naturelle, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.