Comment la science ouverte peut favoriser la recherche de qualité dans les pays à faible revenu

Des étudiants se lavent les mains dans un contexte d’inquiétude concernant le coronavirus Covid-19 avant de passer un examen universitaire à Banda Aceh, en Indonésie.Chaideer Mahyuddin/AFP

La dynamique en faveur de l’ouverture et de la transparence dans le domaine scientifique ne date pas d’hier. Elle s’est vue renforcée par la pandémie de Covid-19. En réponse à la crise sanitaire, les chercheurs du monde entier ont uni leurs efforts en vue de déterminer la nature de la maladie et de mettre au point des vaccins et des méthodes de dépistage et de traitement efficaces.

Si l’on peut se réjouir de la multiplication des travaux de recherche – sachant que plus de 23 000 articles scientifiques ont été publiés entre janvier et mai 2020, soit une « véritable mine d’études » –, ceux-ci prolifèrent à un rythme tel qu’il devient difficile de distinguer les études réellement novatrices du flot ambiant.

Dans ce contexte, la science en libre accès peut aider à mieux discerner les recherches sérieuses et les autres, et donc protéger l’intérêt général face aux dangers que présentent par exemple les études orientées politiquement dans les États où la démocratie n’est pas garantie.

Il convient toutefois de faire preuve de discernement, de façon à ne pas porter atteinte à la situation des chercheurs des pays à revenu moyen ou faible.

Comment discerner les recherches partiales ou peu rigoureuses

Face à la crise, les chercheurs indonésiens font tout leur possible pour intensifier leurs recherches. Malheureusement, le pays compte aussi parmi ceux où science et politique sont un peu trop liées, ce qui peut s’avérer préjudiciable.

Nombre d’observateurs ont fait remarquer que les dispositions prises par le gouvernement pour faire face à la crise de la Covid-19 avaient manqué de cohérence et de clarté. En effet, les autorités, ne souhaitant pas imposer de mesures de quarantaine toujours plus rigoureuses, ont privilégié la mise en place d’un plan de vaccination, en prévoyant la mise au point d’un sérum de production nationale. Deux vaccins sont en cours d’élaboration : le Merah-Putih, par un consortium de recherche constitué sous l’égide de l’Institut Eijkman de biologie moléculaire, et le Nusantara, par un groupe de chercheurs dirigé par Terawan Agus Putranto, l’ex-ministre de la Santé. Remplacé en décembre 2020, ce dernier s’est trouvé au cœur d’une polémique pour s’être prononcé en faveur d’un traitement médical controversé contre les accidents vasculaires cérébraux et pour avoir minimisé l’ampleur de la pandémie lorsqu’il était en fonction.

Malgré l’approche atypique adoptée dans le cadre de son élaboration, les concepteurs du vaccin Nusantara, à base de cellules dendritiques, assurent qu’il est en mesure de produire de meilleurs anticorps tout au long de la vie. Bon nombre de biologistes moléculaires estiment que ces allégations ne reposent pas sur des éléments factuels. Les thérapies basées sur les cellules dendritiques sont en effet généralement utilisées pour traiter les malades du cancer, et les recherches qui s’y rapportent n’en sont encore qu’à leur début. Qui plus est, le calendrier de production du vaccin ne semble pas adapté à une mise en circulation d’urgence.

Au lieu de communiquer les résultats de ses travaux à la communauté scientifique, le groupe de chercheurs s’est employé à obtenir l’appui des parlementaires en faisant pression sur l’Agence indonésienne de contrôle des produits alimentaires et médicamenteux afin qu’elle autorise la poursuite des essais cliniques. Lors de la séance consacrée au sujet, les membres du Parlement ont porté des accusations empreintes de convictions ethno-nationalistes selon lesquelles la directrice de l’Agence aurait sciemment entravé la mise au point du vaccin, au mépris des « découvertes de leurs compatriotes ». En dépit de ces pressions, la directrice de l’Agence est restée inflexible.

Mais si le protocole de l’étude a bien été déposé, aucun autre document, comme des rapports ou des bases de données, n’a été rendu public, ce qui rend impossible tout examen scientifique.

Le vaccin Nusantara ne constitue pas la première controverse de ce genre. Avant lui, les recherches pharmaceutiques menées à l’Université Airlangga et l’analyseur de gaz respiratoires mis au point par l’Université Gadjah Mada avaient déjà fait l’objet de critiques analogues, car les équipes impliquées n’avaient pas rendu publics leurs travaux de manière détaillée, alors que la situation exigeait de mettre en pratique les résultats de leur recherche dans les plus brefs délais.

Tandis que les études pharmaceutiques de l’Université Airlangga ont été suspendues, le gouvernement compte avoir largement recours à l’analyseur de gaz respiratoires à des fins de dépistage au sein des écoles, des bureaux, des sites touristiques et des salles de cinéma, malgré l’insuffisance des données scientifiques disponibles.

Un droit de regard indispensable

Si la diffusion sans entraves des données scientifiques avait été de mise, il aurait été plus simple de contredire certaines allégations fantasques, ce qui aurait aussi permis d’éviter de mobiliser inutilement des fonds publics.

Les recherches véritablement sérieuses et novatrices et sont à même de résister à l’examen scientifique. Les travaux crédibles pourraient d’ailleurs progresser à un rythme plus soutenu, pour peu que les équipes impliquées permettent aux chercheurs et au grand public de vérifier les résultats auxquels elles aboutissent et de contribuer aux recherches.

En fait, on ne peut pas s’attendre à ce que les non-initiés fassent confiance à la recherche et aux scientifiques si ces derniers ne sont pas disposés à justifier leurs propres conclusions. Pour convaincre, les chercheurs doivent avant tout mener des travaux irréprochables et non affirmer qu’ils ont systématiquement raison.

Les ressources allouées à la recherche étant limitées, le public doit être tenu informé des projets subventionnés au moyen de processus de déclaration préalable ou de dépôt de rapports, de façon à ce que les chercheurs exposent les grandes lignes de leurs travaux dans un document dûment daté avant de pouvoir commencer à recueillir des données, ce qui renforcerait la crédibilité des résultats et éviterait les doublons.

Au terme du projet, la publication d’un rapport de recherche préalable accompagné des données nécessaires permettrait au milieu scientifique d’assurer la fiabilité des conclusions des études. Il serait ainsi possible, à l’aide de vérifications rigoureuses et prévues par la réglementation, de garantir l’intérêt public et d’éviter les effets délétères qu’entraînent les travaux sujets à caution, tout particulièrement lorsqu’ils sont susceptibles d’être orientés politiquement à des fins ethno-nationalistes, comme en Indonésie.

Bien que la nouvelle loi indonésienne sur la science exige que les chercheurs consignent leurs résultats au Registre scientifique national, cette pratique n’est toujours pas largement établie, pour deux raisons : la formulation de la réglementation technique est toujours en cours et le partage des données ne s’est pas encore imposé dans les faits.

Quels sont les risques pour les chercheurs ?

En tant que chercheur dans le plus grand pays d’Asie du Sud-est, mon quotidien est une lutte permanente entre les pressions exercées pour réaliser des études sensationnalistes et les efforts indispensables pour tenter de mener à bien mes propres projets dans un environnement où les infrastructures de recherche sont insuffisantes.

En 2020, l’Indonésie a consacré moins de 0,5 % de son PIB à la recherche, et ne compte que 89 chercheurs par million d’habitants, taux qui contraste fortement avec celui de ses voisins, comme la Thaïlande, la Malaisie et le Vietnam.

S’ils veulent être en mesure d’adopter des pratiques ouvertes dans le domaine de la science, les chercheurs des pays où la recherche se développe risquent ainsi d’être confrontés à des difficultés singulières, voire plus importantes que celles auxquelles font face leurs homologues d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Australie.

Outre le manque d’infrastructures, les pays où la démocratie n’est pas encore garantie sont souvent peu attachés à la question de la liberté dans le domaine de la recherche. Les gouvernements populistes ont tendance à se servir de la science pour satisfaire la population, ou faire valoir leurs propres priorités politiques.

Il peut alors s’avérer dangereux de se livrer à une pratique scientifique intègre et rigoureuse, surtout quand les autorités ne sont pas satisfaites des résultats obtenus.

Le milieu universitaire, qui baigne dans un environnement caractérisé par un biais d’autorité, se contente en général d’entretenir le débat scientifique. Les critiques y sont bien souvent assimilées à des attaques personnelles et on y peine à reconnaître ses lacunes et ses erreurs. Le fait d’admettre ses points faibles et de prendre acte des critiques y est rarement bien vu.

Un réel problème se pose lorsque la recherche est considérée comme une compétition, et non comme un effort rigoureux. Il convient donc de redéfinir la politique scientifique nationale en faveur de la liberté de la recherche afin de permettre aux chercheurs d’évoluer dans un écosystème robuste et durable.

En cette période de crise sanitaire, il est plus difficile pour les jeunes chercheurs de se former de façon adéquate en raison du manque de moyens financiers. Or, pour pouvoir asseoir la légitimité de leurs travaux, les scientifiques doivent suivre une formation soutenue qui leur permette de mettre au point, évaluer et mener de manière critique des recherches fiables sur le plan méthodologique.

Si de nombreuses ressources gratuites sont disponibles en ligne, elles ne sont en rien comparables à une formation classique, comme un doctorat ou un cursus postdoctoral. Des partenariats mondiaux visant à atténuer les difficultés systématiquement rencontrées par les chercheurs des pays à revenu moyen ou faible pour financer leur formation favoriseraient l’instauration d’une culture viable sur le long terme dans le secteur de la recherche.

Enfin, sensibiliser la jeune génération aux modalités d’une recherche de qualité permettrait d’éviter de reproduire les mêmes erreurs. À cet égard, l’enseignement de la métascience à l’université pourrait s’avérer profitable aux étudiants, en leur apportant les compétences nécessaires pour évaluer de manière critique les résultats de la recherche. Cette discipline les aiderait à mieux comprendre comment se déroulent les travaux scientifiques et à découvrir les différents moyens susceptibles d’en améliorer la fiabilité.


The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Rizqy Amelia Zein
Social and Personality Psychology Lecturer, Universitas Airlangga
Note : les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans les articles de la série "Les belles histoires de la science ouverte" n'engagent que leurs auteurs. Elles ne sauraient constituer l’expression d’une position du ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation.