Accelerating scholarly communication – The transformative role of preprints
Accélérer la communication savante | Le rôle transformateur des prépublications
Résumé [1]La version en français du résumé a été mise en ligne sur HAL le 7 janvier 2020. Elle est également accessible sur ce site.
Introduction
Contexte et justification
Le processus traditionnel de publication académique est largement reconnu comme étant chronophage pour les auteurs et les membres de comités de lecture et, dans bien des cas, la diffusion des nouvelles connaissances est lente. Au cours des dernières années, le partage de prépublications ou de versions qui exposent des résultats de recherche avant leur parution officielle (ou même à leur place) est une pratique qui s’est répandue dans un certain nombre de disciplines universitaires. La présente étude a pour objectif de poursuivre les travaux antérieurs de Knowledge Exchange (KE) dans le domaine des prépublications, en effectuant un tour d’horizon en 2018 de ce paysage en pleine évolution (knowledge-exchange.info/event/preprints).
Objectifs
Cette étude a pour but d’explorer la place des prépublications dans le cycle de vie de la recherche du point de vue des chercheurs, de leurs organismes et bailleurs de fonds, des serveurs de prépublications et des prestataires de services. Notre enquête a porté sur :
- l’utilisation et les bénéfices essentiels dans le cas des chercheurs, y compris les mesures incitatives et dissuasives ;
- les attitudes des organismes (OR) et bailleurs de fonds de la recherche ;
- les offres, stratégies et objectifs des prestataires de services.
Méthodologie
Cette étude est fondée sur une analyse documentaire exhaustive appliquée aux retranscriptions d’une série de 38 entretiens indexés qualitativement pour permettre une extraction thématique. Nous nous sommes principalement concentrés sur les domaines de recherche où la diffusion de prépublications est en croissance (p. ex. la biologie, la chimie et la psychologie, sur lesquelles nos interviews se sont concentrées), mais nous avons aussi examiné les disciplines où la diffusion de prépublications est monnaie courante (p. ex. la physique, les mathématiques, l’informatique, l’économie) ou, à l’inverse, relativement moins répandue (p. ex. les sciences humaines).
La deuxième vague de serveurs de prépublications
Les prépublications gagnent en popularité
Une croissance explosive a caractérisé le paysage des prépublications ces dernières années. La première vague de serveurs a pris son essor dans les années 1990 avec les milieux de la physique des hautes énergies et de l’économie, mais depuis 2010, le mouvement gagne en popularité dans d’autres domaines scientifiques. Grâce à des solutions techniques de plus en plus accessibles et standardisées, on a pu lancer une gamme de serveurs disciplinaires destinés à une diffusion large et précoce de la recherche.
Les prépublications peuvent soutenir les travaux de recherche ouverts
Les prépublications peuvent favoriser l’ouverture des travaux de recherche en permettant un accès en ligne gratuit et en accélérant potentiellement leur rythme de réalisation. Elles peuvent avoir un rôle transformateur dans le paysage de la communication savante. Néanmoins, une grande incertitude subsiste sur la question de prédire si l’intérêt envers les services de prépublication et l’adoption de ces dernières années perdureront, et dans quelle mesure cette appropriation se généralisera dans toutes les communautés disciplinaires.
Le point de vue du chercheur
Les communautés disciplinaires traitent les prépublications différemment
Nous avons constaté que la définition d’une prépublication est ambiguë dans toutes les disciplines et tous les groupes d’intervenants : cela signifie que toute analyse sur les prépublications est complexe par nature et doit tenir compte du contexte. Les interprétations les plus courantes sont qu’une prépublication est :
- soit un manuscrit prêt à être soumis ;
- soit la version préliminaire d’un article partagé dans l’attente de retours et de commentaires avant de le proposer à une revue.
Toutefois, certains points de vue différents sont apparus au cours de cette étude. Par exemple, on a avancé l’idée que les prépublications pourraient être des résultats de recherche qui ne sont pas destinés à être soumis à un comité de lecture ou qui pourraient ne pas atteindre le stade de la publication (p. ex. pour absence de résultats).
Une motivation essentielle : la diffusion précoce et rapide
Diffuser tôt et vite semble être le principal objectif de la mise en ligne des prépublications. En outre, les possibilités accrues de retours d’information paraissent très appréciées, même si les commentaires ne sont pas fréquemment ajoutés directement sur les serveurs. D’autres avantages pour les chercheurs en début de carrière sont également souvent avancés : pouvoir mentionner ces productions dans un CV pour augmenter les chances d’être embauché ou promu.
L’absence d’examen par les pairs et la crainte d’un rejet par les revues sont des obstacles à la pratique
Les personnes interrogées ont indiqué que leur principale préoccupation en ce qui concerne la prise de connaissance et la réutilisation des prépublications tient à l’idée qu’elles ne sont pas soumises à l’examen d’un comité de lecture. Cela induit le risque de voir des conclusions erronées diffusées à grande échelle ou restituées dans les médias. Pour autant, on estime également que les auteurs scientifiques et les journalistes agissent de manière éthique et professionnelle, ce qui devrait limiter ce danger.
Le rejet par les revues scientifiques est donc un autre obstacle à l’adoption, car certains chercheurs craignent que les éditeurs refusent leurs articles en vertu de la « règle d’Ingelfinger » s’ils prépublient un écrit [2]Note de traduction : Règle éditoriale qui exige le caractère inédit du contenu exposé dans un projet d’article scientifique. Le rédacteur en chef du New England Journal of Medicine, Franz J. Ingelfinger, est le premier à avoir énoncé cette règle en 1969 quand cette revue a commencé à proscrire l’acceptation de manuscrits qui décrivent des résultats dévoilés précédemment dans les médias. Cette prescription a été mise en pratique par d’autres éditeurs scientifiques puis s’est peu à peu généralisée par la suite (voir https://en.wikipedia.org/wiki/Ingelfinger_rule).. Toutefois, cela semble n’être qu’un blocage subjectif, car de nombreuses maisons d’édition acceptent maintenant explicitement pareilles parutions.
Un large éventail de serveurs de prépublications est disponible actuellement
Dans le cadre de ce projet, nous avons identifié plus de 60 plateformes utilisables pour stocker, partager et, dans certains cas, commenter des prépublications. Aujourd’hui, un chercheur a pratiquement la garantie qu’un serveur adapté à ses besoins existe. Il convient de noter que les créations de pareils dispositifs partent souvent d’une initiative à la base et ce sont les communautés disciplinaires qui les gèrent. Ce fait indique qu’ils pourraient être à même de répondre à l’ensemble des prescriptions techniques ou aux usages qui prévalent dans un domaine académique.
Twitter joue un rôle déterminant de facilitation
Les chercheurs et les plateformes recourent souvent à Twitter pour la visibilité et le partage des prépublications. Les scientifiques peuvent suivre les robots Twitter programmés sur certains serveurs, qui diffusent les documents au moment où ils y sont déposés, mais aussi faire part eux-mêmes de leurs propres productions par l’intermédiaire de ce réseau social. C’est grâce à lui que de nombreux chercheurs, semble-t-il, ont vu des prépublications pour la première fois et cet outil constitue l’un des principaux moyens de faire des commentaires et d’en recevoir.
Cartographie du paysage des prépublications
Les publications concernent et impliquent un large éventail d’intervenants
Le paysage des prépublications se caractérise actuellement par une certaine part de fragmentation. Cela suggère que les futures évolutions pourraient résulter d’une collaboration plus étroite entre les groupes d’acteurs concernés : notamment des chercheurs, des organismes et bailleurs de fonds de la recherche, des prestataires de services et des éditeurs. Nous constatons qu’à l’heure actuelle, les approches et les technologies font l’objet d’importantes expérimentations et que, dans certains cas, le degré de coopération entre intervenants est imprécis.
Différentes approches pratiques sont adoptées pour les serveurs de prépublications
Une gamme de moyens techniques existe pour mettre en œuvre des plateformes dans la pratique, dont la plateforme Open Science Framework bien connue, ainsi que des services d’archivage numérique (p. ex. EPrints, figshare, DSpace, Invenio, Drupal). La présence d’infrastructures ad hoc et de technologies propriétaires est également une situation répandue. En fait, le choix de la solution a peu d’impact sur le caractère ouvert des prépublications déposées. Il joue, cependant, un rôle dans l’expérience utilisateur et le niveau de contrôle que les détenteurs et gestionnaires de serveurs peuvent exercer sur leurs plateformes, tout comme dans l’investissement que cela exige.
Les prépublications sont mal intégrées dans les chaînes publications
Les technologies actuelles semblent largement adaptées à l’adoption des prépublications. Par exemple, des identifiants numériques d’objets ou des permaliens peuvent être attribués aux prépublications, des fonctions de retrait sont possibles sur les serveurs et des options de licences ouvertes sont proposées. Cependant, de nombreux auteurs n’utilisent pas les fonctions de versionnage et le suivi automatique d’un manuscrit tout au long du processus de publication est difficile. Dans la plupart des cas, la diffusion du document se fait sans lien avec les chaînes de publication traditionnelles. Cela signifie que les chercheurs en mettent généralement en circulation indépendamment, avant la parution définitive de l’article, puis déposent de nouvelles versions après avoir apporté des révisions.
La « redondance d’information » et la conservation numérique : deux préoccupations montantes
Dans certains cas, les prépublications sont mises en ligne par un auteur en tant que manuscrits à la fois sur un serveur de prépublication et dans une archive électronique (p. ex., institutionnelle). Nous appelons ce phénomène « redondance d’information ». Nous identifions à ce niveau une tension sur les coûts de l’infrastructure technique que cela soulève dans les cas où cela fait double emploi avec des opérations qui sont déjà financées par ailleurs. À l’heure actuelle, un manque d’homogénéité prévaut dans la manière d’approcher la conservation à long terme des documents prépubliés. Ce problème n’est pas considéré comme une priorité en raison des budgets limités et du rythme rapide des changements dans le paysage des prépublications. Toutefois, l’archivage pérenne est reconnu comme une interrogation croissante à laquelle il faudra s’attaquer à l’avenir. C’est tout particulièrement le cas pour les prépublications, à savoir : quelles sont celles qui devraient faire l’objet d’opérations de conservation numérique ou non ?
Les prépublications : un engouement passager ?
La popularité des prépublications et de leurs serveurs a augmenté très vite au cours des dernières années. Si l’on applique une analyse de type « cycle du hype » [3]Note de traduction : L’auteur fait ici allusion à une « courbe décrivant l’évolution de l’intérêt pour une nouvelle technologie » (voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Cycle_du_hype)., on peut anticiper ce que la visibilité des prépublications connaisse une baisse après ledit « pic des attentes exagérées » actuel. En outre, nous relevons que certains acteurs dans ce paysage pourraient fusionner ou disparaître avec le temps. Après une phase de « creux de désillusion », les prépublications et leurs serveurs pourraient susciter un regain d’intérêt. Ils atteindraient alors le niveau d’adoption généralisée en place aujourd’hui dans les communautés desservies par arXiv et RePEc (physique, mathématiques, informatique, économie, entre autres).
L’avenir des prépublications
Une incertitude : qui prendra la main dans la diffusion de prépublications ?
Nous nous sommes penchés sur la question suivante : vers où va aller le centre de gravité de ce phénomène de diffusion de prépublications : le chercheur ou l’éditeur ? La réponse est encore vague à l’heure actuelle, mais nous constatons que ce sont les chercheurs qui assument pour l’essentiel la responsabilité de faire paraître des prépublications aujourd’hui. Si le centre de gravité passait du côté de l’éditeur, ce modèle pourrait améliorer le suivi des prépublications pendant et après la parution. Cependant, cette perspective pour le paysage de la communication savante suscite de plus en plus la crainte d’une concentration du marché. De toute évidence, cette alternative entre une approche centrée sur le chercheur ou sur l’éditeur aura aussi une incidence financière. Dans le premier cas, on serait en présence de subventions ou de budgets mutualisés qui constitueraient probablement la principale source de financement des serveurs. Par contre, dans le second, les éditeurs en assureraient la charge, si tant est qu’ils y voient un retour sur investissement possible jugé suffisant.
Les revues traditionnelles doivent-elles évoluer ?
Dans un paysage qui se transforme sous l’effet de l’utilisation accrue des prépublications, le rôle et les coûts des revues scientifiques traditionnelles risquent d’être remis en question. De plus, les épirevues qui évaluent scientifiquement et partagent le contenu diffusé sur des serveurs de prépublications sont déjà pratiquées dans certaines communautés disciplinaires. Cette évolution pourrait également peser sur l’ampleur avec laquelle les revues traditionnelles pourraient devoir reformuler leur offre.
Les options de licences doivent être soigneusement examinées
Les répondants reconnaissent que la question des licences est un point délicat dans le domaine des prépublications. En effet, ce sont des conditions de licence permissives qui offrent dans une certaine mesure la promesse d’une réutilisation plus large des résultats de la recherche. Dans notre étude, plusieurs interlocuteurs n’ont pas su justifier pleinement leur choix en la matière pour leurs propres prépublications. Ce fait donne à penser que cette question sera un sujet de préoccupation essentiel pour les plateformes à l’avenir.
Les prépublications peuvent favoriser une évaluation plus juste des travaux ou des chercheurs
Un nombre croissant d’organismes de financement de la recherche commencent à reconnaître et à accepter les prépublications dans les dossiers de demandes de subventions, et nous voyons là le rôle que les prépublications peuvent jouer dans l’évaluation. On s’efforce de plus en plus de mettre l’accent sur les résultats individuels plutôt que sur les titres de revues comme celles à facteur d’impact élevé.
Les serveurs de prépublications devraient se pencher en priorité sur les difficultés d’utilisation
Ce sont des partisans enthousiastes de la science ouverte qui créent des plateformes à l’heure actuelle, mais ce faisant ils ne répondent pas toujours à un besoin bel et bien perçu au sein de leur communauté. L’importance croissante accordée à l’ouverture contribue certainement à modifier quelque peu les comportements dans le paysage de la recherche. Cependant, du côté des serveurs de prépublications, il peut s’avérer nécessaire d’accorder davantage d’attention aux désagréments qu’ils imposent aux chercheurs s’ils sont censés instaurer un changement durable.
Conclusions
Trois futurs scénarios pour la diffusion des prépublications
Nous voyons trois scénarios possibles se dessiner pour leur avenir :
- Scénario 1 – Renversement de la tendance : la deuxième vague de plateformes perd de sa dynamique et les prépublications demeurent une composante majeure de la communication savante uniquement dans les domaines où elles sont déjà bien établies, par exemple ceux desservis par arXiv et RePEC.
- Scénario 2 – Adoption variable : les prépublications prennent de l’essor dans certains champs disciplinaires, ceux auxquels s’adressent ChemRxiv et bioRxiv, mais pas dans tous.
- Scénario 3 – Prépublications par défaut : elles prennent de l’ampleur dans tous les secteurs (à des rythmes différents) et l’ensemble de la communauté des chercheurs les accepte.
Le premier scénario devrait se produire si les efforts actuels de promotion des prépublications échouaient. Le deuxième pourrait se réaliser à court et moyen terme, mais peut-être celle-ci sera-t-elle une transition entre les deux autres scénarios, ou bien le phénomène s’arrêtera là si de nouvelles évolutions ne voient pas le jour. Le troisième ne peut intervenir que si toutes les parties prenantes concernées coopèrent pour que les prépublications portent toutes leurs promesses et ne sera probablement qu’une hypothèse à long terme. Même dans cette éventualité, certains domaines disciplinaires, comme les sciences humaines, pourraient s’abstenir de toute adoption.
Cinq domaines restent à aborder pour s’assurer d’un avenir durable pour les prépublications
Cette étude a permis d’identifier cinq domaines qui nécessitent un complément d’enquête :
- Responsabilités et modèles économiques
- Implication des acteurs commerciaux vs prise en main par les communautés
- Identification par la preuve des avantages et des inconvénients de la diffusion des prépublications
- Parcours de sensibilisation
- Approches en matière de formation et de soutien
Nous constatons qu’une forte implication est nécessaire pour bâtir un avenir durable pour cette pratique montante dans la communication savante : plus le niveau de coordination des intervenants sera élevé, plus les résultats seront positifs pour le milieu de la recherche.
La traduction française a été assurée par Jean-François Nominé et Marc Rubio du Service de traduction de l’Inist-CNRS.
© Knowledge Exchange 2019
References