Quand partager les données issues des essais cliniques permet de mieux soigner les patients
Dans le domaine de la santé, les essais cliniques sont nécessaires afin d’évaluer l’intérêt des nouveaux traitements et ainsi de justifier leur commercialisation et leur utilisation à grande échelle.
Un essai clinique débute principalement par la rédaction d’un protocole et la réalisation de démarches réglementaires. Des patients sont ensuite recrutés pour y participer, et leurs caractéristiques telles que leur âge, leur sexe, et les données de santé relatives à l’essai sont collectées et enregistrées pour constituer une base de données. C’est à partir de cette base de données que seront menées les analyses statistiques qui permettront de répondre aux questions posées par le protocole. Les résultats seront compilés dans un rapport, et sont normalement publiés sous la forme d’un article dans un journal scientifique qui assurera une diffusion large des résultats de cet essai. Cet article sera appelé « primaire » ou « initial », car il sera le premier article issu de l’essai clinique et de l’analyse de sa base de données.
Le prérequis d’un essai clinique rigoureux est donc un recueil de données de qualité strictement encadré par une équipe de recherche. Ainsi, la base de données est vérifiée et validée avant la réalisation des analyses statistiques. Ce recueil de données constitue une étape longue et onéreuse. L’essai clinique nécessite par ailleurs des moyens humains importants : une équipe de recherche pour la rédaction du protocole, le suivi et la réalisation de l’essai, des médecins ou professionnels de santé qui recrutent les patients lors de consultations, et bien sûr des patients qui consentent à participer à l’essai, c’est-à-dire à prendre des risques pour faire progresser les connaissances sur leur pathologie.
Maximiser le bénéfice des données cliniques
Devant ces investissements humains, temporels et financiers, il semble judicieux de vouloir maximiser le bénéfice obtenu grâce aux données recueillies, par exemple en les réutilisant ultérieurement pour d’autres finalités que celles de l’essai initial. Schématiquement, ces réutilisations peuvent être regroupées en trois catégories : les réanalyses, les analyses secondaires et les méta-analyses sur données individuelles.
Lorsqu’un chercheur souhaite vérifier les résultats d’un essai clinique, il peut demander les données pour effectuer lui-même à nouveau les analyses statistiques, on parle alors d’une réanalyse. Si les résultats du nouveau chercheur sont concordants avec ceux de l’article primaire, la réanalyse peut contribuer à élever le niveau de confiance accordé aux résultats, surtout si elle est réalisée par une équipe de recherche indépendante de celle de l’essai clinique initial.
En revanche, une réanalyse aboutissant à une conclusion différente de celle de l’article primaire peut avoir d’importantes conséquences sur les recommandations et la commercialisation des traitements évalués. C’est ce qui est arrivé pour l’essai clinique appelé « étude 329 » qui évaluait la place d’un antidépresseur (paroxétine ou imipramine) dans le traitement de la dépression chez les adolescent·e·s. Contrairement aux résultats de l’article primaire publié en 2001, la réanalyse de 2015 n’a pas montré d’intérêt à l’utilisation de paroxétine ou d’imipramine dans les conditions décrites par le protocole.
Au-delà des réanalyses, il est possible d’aller plus loin avec le même jeu de données, en voulant répondre à des questions de recherche qui n’ont pas été explorées au moment de l’analyse statistique initiale. Les nouvelles analyses du jeu de données sont appelées des analyses secondaires. Elles peuvent s’intéresser à un sous-groupe de personnes, par exemple pour évaluer l’intérêt du traitement chez les personnes de plus de 65 ans seulement, ou étant diabétiques, etc. Les analyses secondaires peuvent aussi répondre à des questions totalement nouvelles, en réutilisant tout ou partie de la base de données, comme dans le SPRINT Challenge en 2016. Ce challenge, organisé par la reue scientifique New England Journal of Medicine, proposait d’explorer les bénéfices du partage des données en mettant à disposition la base de données de l’essai SPRINT dans le but de trouver des résultats pouvant améliorer les connaissances médicales.
L’essai SPRINT comparait la prise en charge intensive de la pression artérielle (objectif d’une pression de moins de 120 mmHg) par rapport à la prise en charge standard (objectif d’une pression de moins de 140 mmHg) ; les résultats concluaient à l’intérêt de la prise en charge intensive. Ce résultat n’est vrai qu’à l’échelle d’une population : il vaut mieux en traiter l’intégralité que pas du tout. Cependant, certains individus de cette population n’obtiendront peut-être pas de bénéfices avec la prise en charge intensive. Les analyses secondaires occasionnées par le challenge ont notamment permis la conception d’un outil d’identification de ces personnes, permettant d’individualiser au mieux le traitement.
Enfin, si les bases de données de plusieurs essais cliniques sont disponibles, elles peuvent être réunies pour réaliser une méta-analyse à partir des données individuelles. Une méta-analyse est un regroupement de plusieurs essais cliniques similaires qui permet d’émettre une synthèse quantitative et exhaustive des résultats de tous les essais portant sur le traitement évalué. Cette synthèse est utile pour fournir une conclusion globale à partir d’essais ayant des résultats divergents. Habituellement, les chercheurs peuvent réaliser une méta-analyse en utilisant les valeurs moyennes rapportées dans les articles primaires (données agrégées), mais cette approche n’est pas toujours suffisante, et ce, tout particulièrement dans les situations où la prescription pourrait être individualisée.
Il faut alors utiliser directement les bases de données des essais cliniques et réaliser une « méta-analyse sur données individuelles ». Par exemple, dans certains cancers du poumon traités par radiothérapie, il a été démontré que l’ajout d’une chimiothérapie séquentielle (en alternance avec la radiothérapie) ou concomitante (en même temps que la radiothérapie) améliore la survie de certains patients, mais aucun essai ne permet d’affirmer l’intérêt d’une des approches sur l’autre. Sans recruter un patient de plus, grâce à une méta-analyse sur données individuelles, l’Institut Gustave-Roussy a réussi à montrer que la chimiothérapie concomitante est plus efficace que le schéma séquentiel.
Des réutilisations de données encore trop peu nombreuses
Bien que les réanalyses, les analyses secondaires et les méta-analyses sur données individuelles présentent de belles promesses, les réutilisations sont encore trop peu nombreuses. Il est possible que les bases de données soient disponibles, mais ne soient pas suffisamment demandées par de nouvelles équipes de recherche. Pendant longtemps, la culture de la recherche clinique n’a pas encouragé le partage des données et cela n’évolue que progressivement. Il est aussi possible que les données soient demandées, mais que les auteurs de l’article primaire refusent de les partager (le partage n’étant pas obligatoire). Dans les deux cas, la lourdeur réglementaire et les moyens humains requis pour partager les données dans de bonnes conditions peuvent être un frein. Le partage est donc compliqué à mettre en œuvre en respectant les besoins et contraintes des équipes de recherches et les droits des patients.
Heureusement, les règles nationales et internationales supportent de plus en plus les pratiques de science ouverte, notamment en encourageant le partage des données. Par exemple, en France, le groupe de travail « Déclaration de partage des données issues des essais cliniques », porté par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, a pour objectif de ne laisser aucun chercheur sans solution pour partager ses données, notamment en lui fournissant un guide et des documents types pour prévoir un partage responsable des données des essais cliniques.
Florian Naudet a reçu des financements de l' ANR / ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche / ministère de la santé (PHRC)
Claude Pellen ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.