Recommandation de l’UNESCO sur une science ouverte
Préambule
La Conférence générale de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), réunie à Paris du 9 au 24 novembre 2021, à l’occasion de sa 41e session,
Reconnaissant qu’il est urgent de relever les défis environnementaux, sociaux et économiques complexes et interdépendants auxquels sont confrontés les peuples et la planète, notamment la pauvreté, les problèmes sanitaires, l’accès à l’éducation, l’accroissement des inégalités et des disparités des chances, le creusement des écarts en matière de science, de technologie et d’innovation, l’épuisement des ressources naturelles, la perte de biodiversité, la dégradation des terres, le changement climatique, les catastrophes naturelles ou anthropiques, la recrudescence des conflits et les crises humanitaires qui en découlent,
Consciente de l’importance vitale du rôle que jouent la science, la technologie et l’innovation (STI) pour répondre à ces défis en offrant des solutions pour améliorer le bien-être des personnes, faire progresser la durabilité environnementale et le respect de la diversité biologique et culturelle de la planète, favoriser un développement social et économique durable et promouvoir la démocratie et la paix,
Consciente également des opportunités et du potentiel que représentent l’expansion des technologies de l’information et de la communication et l’interdépendance mondiale des activités pour accélérer les progrès de l’humanité et donner naissance à des sociétés du savoir, et soulignant l’importance de réduire les écarts en matière de STI et les fractures numériques qui existent entre les pays et les régions et au sein de ceux-ci,
Notant le potentiel transformateur de la science ouverte pour réduire les inégalités existantes en matière de STI et accélérer les progrès en vue de réaliser les objectifs de développement durable (ODD) et de mettre en oeuvre le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et au delà, en particulier en Afrique, dans les pays les moins avancés (PMA), dans les pays en développement sans littoral (PDSL) et dans les petits États insulaires en développement (PEID),
Consciente des priorités globales de l’UNESCO – à savoir égalité des genres et Afrique – et de la nécessité d’intégrer tous ces aspects dans les politiques et pratiques scientifiques ouvertes en vue de s’attaquer aux causes profondes des inégalités et de fournir des solutions efficaces à cette fin,
Considérant que des pratiques scientifiques plus ouvertes, transparentes, collaboratives et inclusives, associées à des connaissances scientifiques plus accessibles et vérifiables et soumises à l’examen et à la critique, améliorent l’efficacité, la qualité, la reproductibilité et l’impact de l’entreprise scientifique et, par conséquent, la fiabilité des preuves nécessaires pour prendre des décisions et élaborer des politiques solides et accroître la confiance dans la science,
Notant également que la crise sanitaire mondiale de la COVID-19 a révélé au monde entier l’urgence et le besoin de favoriser un accès équitable à l’information scientifique, de faciliter le partage des connaissances, des données et de l’information scientifiques et de renforcer la collaboration scientifique et la prise de décision fondée sur la science et les connaissances pour répondre aux urgences mondiales et accroître la résilience des sociétés,
Déterminée à ne laisser personne de côté en ce qui concerne l’accès à la science et aux bienfaits du progrès scientifique en veillant à ce que tous les pays puissent avoir librement accès aux connaissances, aux données, aux méthodes et aux processus scientifiques nécessaires pour répondre aux crises sanitaires et autres crises mondiales actuelles et futures, conformément aux droits et aux obligations, y compris les exceptions et flexibilités, découlant des accords internationaux applicables,
Affirmant les principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme, notamment ceux énoncés aux articles 19 et 27 et affirmant également les principes formulés dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (2007),
Rappelant que l’une des principales fonctions de l’UNESCO, en vertu de l’article premier de son Acte constitutif, consiste à aider au maintien, à l’avancement et à la diffusion du savoir en encourageant la coopération entre les nations dans toutes les branches de l’activité intellectuelle, notamment par l’échange de publications, d’oeuvres d’art, de matériel de laboratoire et de toute documentation utile, et en facilitant par des méthodes de coopération internationale appropriées l’accès de tous les peuples à ce que chacun d’eux publie,
S’appuyant sur la Recommandation concernant la science et les chercheurs scientifiques (2017), adoptée par la Conférence générale de l’UNESCO à sa 39e session, qui reconnaît, entre autres, la valeur significative de la science comme un bien commun,
Rappelant également la Recommandation de l’UNESCO sur les ressources éducatives libres (REL) (2019) et la Convention universelle de l’UNESCO sur le droit d’auteur (1971), et prenant note de la Stratégie relative à la contribution de l’UNESCO à la promotion de l’accès libre à l’information et à la recherche scientifiques, ainsi que de la Charte de l’UNESCO sur la conservation du patrimoine numérique, adoptées par la Conférence générale de l’UNESCO à ses 36e et 32e sessions, respectivement,
Reconnaissant également l’importance des cadres juridiques internationaux existants, en particulier sur les droits de la propriété intellectuelle, y compris les droits des scientifiques sur leurs productions scientifiques,
Considérant en outre que la pratique de la science ouverte, ancrée dans les valeurs de collaboration et de partage, s’appuie sur les systèmes de propriété intellectuelle existants, favorise une approche ouverte qui encourage l’utilisation des licences ouvertes, ajoute des matériels au domaine public et tire parti, lorsque c’est approprié, des flexibilités qui existent au sein des systèmes de propriété intellectuelle pour permettre l’accès de tous au savoir dans l’intérêt de la science et de la société, et promouvoir des opportunités d’innovation et de participation dans la co-création de connaissances,
Notant en outre que des pratiques de science ouverte favorisant l’ouverture, la transparence et l’inclusion existent déjà dans le monde entier, et qu’un nombre croissant de résultats scientifiques sont déjà dans le domaine public ou font l’objet de licences ouvertes, qui permettent d’accéder librement à une œuvre, de la redistribuer et de la réutiliser à certaines conditions, notamment de faire en sorte que l’auteur soit reconnu comme il se doit,
Rappelant en outre que la science ouverte a été conçue il y a plusieurs décennies comme un mouvement visant à transformer les pratiques scientifiques afin de les adapter aux changements, aux défis, aux opportunités et aux risques inhérents à l’ère du numérique, ainsi qu’à accroître l’impact de la science sur la société, et notant à cet égard la Déclaration de l’UNESCO et du CIUS sur la science et l’utilisation du savoir scientifique (1999) et l’Agenda pour la science – Cadre d’action, l’Initiative de Budapest pour l’accès libre (2002), la Déclaration de Bethesda pour l’édition en libre accès (2003) et la Déclaration de Berlin sur le libre accès à la connaissance en sciences exactes, sciences de la vie, sciences humaines et sociales (2003),
Reconnaissant en outre l’importance des preuves disponibles concernant les avantages économiques et le retour sur investissement considérable associés aux pratiques et aux infrastructures de la science ouverte, qui ouvrent la voie à l’innovation, à la recherche dynamique et aux partenariats économiques,
Convenant qu’un meilleur accès aux processus et aux résultats scientifiques peut améliorer l’efficacité et la productivité des systèmes scientifiques en réduisant les coûts des doubles emplois dans la collecte, la création, le transfert et la réutilisation des données et du matériel scientifique, en permettant de conduire davantage de recherches à partir des mêmes données, et en renforçant l’impact de la science sur la société par la multiplication des possibilités de participation locale, nationale, régionale et mondiale au processus de recherche, ainsi que des possibilités de circulation plus large des conclusions scientifiques,
Reconnaissant l’importance croissante des processus scientifiques collectifs menés par des communautés de recherche utilisant des infrastructures de connaissances partagées pour faire avancer des agendas de recherche communs traitant de problèmes complexes,
Considérant que les aspects collaboratifs et inclusifs de la science ouverte permettent à de nouveaux acteurs de la société de participer aux processus scientifiques, notamment au travers de la science citoyenne et participative, afin de contribuer à la démocratisation du savoir, de lutter contre les fausses informations et la désinformation, de remédier aux inégalités systémiques existantes et aux niches de richesse, de savoir et de pouvoir, ainsi que d’orienter le travail scientifique vers la résolution des problèmes importants de la société,
Consciente que la science ouverte ne devrait pas se limiter à favoriser un meilleur partage des connaissances scientifiques entre les seules communautés scientifiques, mais qu’elle devrait aussi encourager la prise en compte et l’échange des connaissances scientifiques des groupes traditionnellement sous-représentés ou exclus (tels que les femmes, les minorités, les chercheurs autochtones, les chercheurs des pays les moins favorisés et les spécialistes de langues à faibles ressources) et contribuer à réduire les inégalités en matière d’accès au développement, aux infrastructures et aux capacités scientifiques entre les différents pays et régions,
Reconnaissant également que la science ouverte respecte la diversité des cultures et des systèmes de connaissances du monde entier en tant que piliers du développement durable, en favorisant un dialogue ouvert avec les peuples autochtones et les communautés locales ainsi que le respect des différents détenteurs de savoirs, afin de résoudre les problèmes contemporains et d’élaborer de nouvelles stratégies vers un changement transformateur,
Tenant compte, dans l’adoption et l’application de la présente Recommandation, de la grande diversité des lois, des réglementations et des coutumes qui, dans les différents pays, déterminent la structure et l’organisation des activités dans le domaine de la science, de la technologie et de l’innovation,
1. Adopte la présente Recommandation sur une science ouverte en ce jour du vingt-trois novembre 2021 ;
2. Recommande aux États membres d’appliquer les dispositions de la présente Recommandation en prenant des mesures appropriées, notamment législatives, conformément aux pratiques constitutionnelles et aux structures de gouvernance de chaque État, en vue de donner effet, dans leurs juridictions, aux principes énoncés dans la présente Recommandation ;
3. Recommande également aux États membres de porter la présente Recommandation à la connaissance des autorités et organismes responsables de la science, de la technologie et de l’innovation, et de consulter les acteurs concernés par la science ouverte ;
4. Recommande en outre aux États membres de collaborer dans le cadre d’initiatives bilatérales, régionales, multilatérales et mondiales pour l’avancement de la science ouverte ;
5. Recommande aux États membres de lui rendre compte, aux dates et selon les modalités qu’elle aura déterminées, des mesures qu’ils auront prises pour donner suite à la présente Recommandation.
I. But et objectif de la recommandation
1. La présente Recommandation a pour but de fournir un cadre international pour les politiques et les pratiques de la science ouverte qui reconnaisse les différences disciplinaires et régionales dans les perspectives de la science ouverte, qui tienne compte de la liberté académique, des approches transformatrices du point de vue du genre et des défis spécifiques auxquels sont confrontés les chercheurs et les autres acteurs de la science ouverte dans les différents pays et en particulier dans les pays en développement, et qui contribue à réduire les fractures numérique, technologique et cognitive entre les pays et à l’intérieur de ceux-ci.
2. La présente Recommandation énonce une définition commune ainsi que des valeurs, des principes et des normes partagés pour la science ouverte à l’échelle internationale, et propose un ensemble d’actions favorisant une mise en place juste et équitable de la science ouverte pour tous, aux niveaux individuel, institutionnel, national, régional et international.
3. Dans ce contexte, les principaux objectifs et les domaines d’action de la présente Recommandation sont les suivants :
i. promouvoir une définition commune de la science ouverte, de ses bienfaits et de ses enjeux, ainsi que des différents moyens de la mettre en oeuvre ;
ii. instaurer un environnement politique favorable à la science ouverte ;
iii. investir dans les infrastructures et les services de la science ouverte ;
iv. investir dans les ressources humaines, la formation, l’éducation, la culture numérique et le renforcement des capacités au service de la science ouverte ;
v. encourager une culture de la science ouverte et harmoniser les mesures incitatives en faveur de cette dernière ;
vi. promouvoir des approches novatrices de la science ouverte à différentes étapes du processus scientifique ;
vii. promouvoir la coopération internationale et multipartite dans le contexte de la science ouverte et en vue de réduire les fractures numériques, technologiques et en matière de connaissances.